Type d'article : un comportement déviant positif

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Rachel Dissell
The Plain Dealer de Cleveland

Rachel Dissell est journaliste pour le Plain Dealer depuis 2002. Elle a rédigé des articles d'investigation sur la réponse de Cleveland face aux agressions sexuelles, sur la violence des relations adolescentes, sur le système de justice juvénile et sur l'empoisonnement au plomb. En 2011, Rachel Dissell a reçu le premier Prix d'Excellence des Médias pour la fin des violences faites aux femmes à l'échelle internationale. Elle est également professeur à l'université du Kent.

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Brie Zeltner
The Plain Dealer de Cleveland

Brie Zeltner a rejoint le Plain Dealer en 2007 après un stage d'un an au sein du journal et rédige des articles sur les effets de la pauvreté sur la santé des enfants, des familles et la communauté du nord-est de l'Ohio. En 2015, Brie Zeltner et sa collègue Rachel Dissell ont co-écrit l'article « Négligence toxique », une enquête en profondeur qui examine la crise non résolue de l'empoisonnement au plomb à Cleveland.

THE CLEVELAND PLAIN DEALER

Négligence toxique

Par Rachel Dissell et Brie Zeltner | 23 octobre 2015

CLEVELAND, Ohio — Cela fait dix ans que la ville de Rochester, dans l'état de New York, s'est engagée à traiter de front le problème d'empoisonnement au plomb. Les enfants de la ville ne devaient plus servir de détecteurs de plomb et être empoisonnés à un taux 10 fois supérieur à la moyenne nationale, selon les promesses des autorités locales.

Cela a entraîné la création d'un ensemble de lois de prévention de l'empoisonnement au plomb établies par des experts du domaine considérés comme les « plus intelligents » de la nation et une baisse de 80 pour cent du nombre d'enfants avec des taux élevés de contamination au plomb. C'est un changement que les autorités pensent durable.

L'année dernière dans le comté de Monroe dans l'état de New York, dont Rochester est le chef-lieu, 4 pour cent des enfants qui ont été dépistés pour une contamination au plomb avait 5 microgrammes de toxine par décilitre de sang, le seuil étant actuellement défini par le centre du contrôle et de prévention des maladies.

Dans le comté de Cuyahoga l'année dernière, ce pourcentage représentait plus du double, soit 11,5 pour cent des enfants examinés.

Ce qui distingue l'approche de Rochester de celle des autres villes luttant contre l'empoisonnement infantile au plomb est simple: la ville a décidé de rechercher le plomb dans les logements locatifs au lieu d'attendre d'agir une fois qu'un enfant a déjà été empoisonné.

Les lois de Rochester n'avaient cependant rien de révolutionnaire. Pour l'essentiel, la ville a amendé ses lois sur le logement existantes, pour cibler les risques liés au plomb, et a renforcé l'application du code du logement dans les zones où les enfants risquaient d'être empoisonnés.

Une véritable prévention, la clé du changement

Depuis plusieurs décennies, les autorités de la santé publique ont compris que si les maisons sont sûres et ne présentent aucun risque lié au plomb, les enfants ne sont pas empoisonnés.

Le Ministère américain du logement et du développement urbain (HUD) encourage depuis longtemps les villes à appliquer des codes du logement afin d'éviter l'empoisonnement au plomb.

L'agence qui fournit la majeure partie des subventions pour le nettoyage des peintures à base de plomb dans le pays, affirme que sa mission repose vraiment sur la prévention. Dans un entretien cet été, un responsable de l'agence a déclaré que la mission du HUD vis-à-vis de l'empoisonnement au plomb est de cibler les logements susceptibles de contaminer les enfants.

« Le seul moyen de gérer réellement ce problème est de traiter les logements eux-mêmes », a déclaré l'agence au The Plain Dealer.

Les autorités jouent un rôle essentiel pour identifier les logements susceptibles de présenter un risque pour les enfants, dans l’immédiat et à long terme. Les responsables du HUD ont conseillé aux villes subventionnées pour le nettoyage du plomb de faire appliquer le code pour aider à identifier les propriétés privées présentant des risques de contamination au plomb, ainsi que les zones à haut risque d'empoisonnement au plomb.

« En ne se concentrant pas directement sur les dangers du plomb, les autorités perdent de nombreuses opportunités supplémentaires d'empêcher les enfants d'être contaminés », affirmait un premier article du HUD sur la stratégie en 2002.

Les autorités ont également constaté, en se basant sur une multitude de recherches réalisées dans tout le pays, que la prévention de l'empoisonnement au plomb permettait effectivement de faire des économies.

Un changement de cap à Rochester

Les preuves grandissantes soutenant la prévention font partie de ce que l'ancien conseiller de Rochester, Wade Norwood appelait « un raz-de-marée de faits » qui a conduit à l'adoption unanime du décret municipal sur le plomb en 2005.

« Il y avait un impératif moral, scientifique et communautaire exigeant que le décret soit adopté », explique W. Norwood. Il fallait être volontairement ignorant ou de mauvaise foi pour s'y opposer, selon lui.

Il y avait des inquiétudes concernant les nouvelles lois, en particulier parmi les propriétaires de la ville.

Gary Kirkmire, qui dirige les efforts d'inspection et de conformité de Rochester, explique que l'un des plus grands obstacles était d'avoir l'impression que les inspections obligatoires contrarieraient le marché de la location et accableraient les propriétaires.

« L'inconnu est effrayant pour les gens. C'était effrayant pour nous », affirme G. Kirkmire, responsable de l'inspection et de la conformité pour la ville. Une fois que les inspections de recherche de plomb ont commencé, la plupart des propriétaires se sont adaptés à la situation, selon ses dires.

« Certaines personnes ont cessé leur activité, mais sincèrement, certains d'entre eux ont bien fait », explique-t-il.

D'autres ont protesté, affirmant que ce projet était trop coûteux et que la ville devrait dépenser plus d'un million de dollars par an pour effectuer des inspections supplémentaires.

G. Kirkmire explique qu'il a fallu beaucoup de dévouement, mais que Rochester a embauché quelques inspecteurs supplémentaires ainsi que des inspecteurs de construction et de logements polyvalents pour pouvoir évaluer les risques liés au plomb.

La ville a également décidé, au lieu de réaliser des évaluations complètes du risque global lié au plomb, qui pourraient prendre quatre heures ou plus, qu’elle devait plutôt privilégier les efforts d'inspection des types de propriétés qui présentaient le plus de risque :  les biens en location avec des peintures détériorées et un sol nu autour.

Les inspecteurs ont commencé par les logements vieillissants dans les quartiers pauvres où l'empoisonnement au plomb était prédominant.

Selon G. Kirkmire, il a fallu plusieurs années pour inspecter les 60 000 logements en location de la ville, datant d'avant les années 1970. Mais le financement du programme coûte à présent environ 696 000 dollars par an. La ville paie un peu moins de la moitié de cette somme et le reste est pris en charge pour une subvention de l'état pour la prévention.

Cela paie les inspections visuelles et 2 800 à 3 000 tests en laboratoire du plomb prélevé sur les sols, montants de fenêtres et d'autres emplacements dans les maisons qui contiennent de la poussière pouvant facilement entrer en contact ou être inhalée par des enfants.

G. Kirkmire a expliqué que la vile a également perfectionné le programme en étudiant les données collectées. Un changement qui permet de gagner du temps : après avoir découvert que plus de 90 pour cent des risques liés au plomb survenaient dans les maisons en location simples et doubles, la ville a amendé son décret afin que les inspecteurs n'aient plus besoin d'inspecter les propriétés comportent davantage de logement.

La ville a également pu réduire de moitié (de six à trois ans) le délai nécessaire pour réinspecter les biens en location dans lesquels le plomb avait été traité mais pas entièrement éliminé.

Des leçons à retenir pour Cleveland ?

G. Kirkmire affirme que les autres villes peuvent également commencer en s'attaquant à une petite partie du problème.

« Vous n'avez pas besoin de creuser dans toute la ville », explique-t-il. « Dans notre ville, à l'origine, nous avons déployé le programme dans les zones présentant le plus de risques. »

Selon lui, ces zones à haut risque sont désormais réduites.

Par le passé, les comtés de Cleveland et de Cuyahoga ont essayé de mettre en place de petits projets d'inspection des maisons et proposaient des méthodes d'éducation et de contrôle du plomb à bas coût, comme des tapis et des équipements de nettoyage, dans les foyers hébergeant des femmes enceintes et des nourrissons. Toutefois, l'effort financé par une subvention, prometteur au départ, s'est terminé une fois les fonds épuisés.

Actuellement, le service de santé publique de Cleveland, le système MetroHealth, et l'organisation à but non lucratif Environmental Health Watch collaborent dans le cadre d'un nouveau projet, appelé BUILD, qui opte pour une approche plus collaborative et holistique pour s'assurer que les logements sont sains.

Le projet est en test dans un quartier de West Side avec un fort pourcentage de plomb et d'autres problèmes de santé en lien avec les habitations.

Selon ses partisans, l'objectif du programme est d’élaborer une stratégie durable pour empêcher les familles et les enfants d'être contaminés et empoisonnés par leurs maisons.

Il reste à voir si cela perdurera au-delà de la subvention de 250 000 dollars.